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La Plume de Giacometti

La Plume de Giacometti

Ecrivain, photographe amateuR


Mon roman : extrait du tome 2 : une autre vérité

Publié par Plume sur 24 Novembre 2007, 07:58am

Catégories : #Ecriture

... La bonté d’Elaura n’avait d’égale que sa douceur et sa sincérité ! Je me souviens encore d’un Noël, cet hiver particulièrement glacial de 1956, quand au grand désespoir d’Ella, elle a ouvert la porte à ce vieil homme gelé et l’a conduit doucement auprès du feu… Je me souviens encore d’autres hivers où elle donnait son pain rare à l’enfant implorant qui lui tendait la main, où elle nous enveloppait, Andrei et moi, dans son long manteau, pour nous amener voir tomber la neige et compter les étoiles dans le grenier glacial. Elle nous serrait très fort contre elle, nous entendions tous les deux battre son cœur et écoutions, fascinés, étourdis par le froid, sa voix douce qui dans la brume de son souffle parlait de toutes ces âmes qui veillaient de là-haut sur nous, celle de ce grand et robuste Ukrainien aux cheveux de jais qui répondait au nom d’Andrei Geschkalaï et qui était tombé à Varsovie, celle d’une belle jeune fille, blonde sûrement, qui s’appelait Ruth et qui avait eu juste le temps et l’immense courage de donner la vie, celle de son mari avec ses yeux bleus irrésistibles qui avait le tors ridicule de se nommer Daniel Rosen et d’appartenir à une race qui ne devait pas vivre… Je me souviens, je pleurais en silence en l’écoutant. Alors elle m’embrassait et avait ce don rare de sécher mes larmes en me rappelant que j’étais leur plus belle réussite et que de là-haut ils me regardaient grandir avec une grande fierté… Je la croyais. Je la croyais aveuglément. Elaura ne savait pas mentir … Maintenant quand j’y repense, je me dis que contrairement à ce que je croyais, non content d’être la mule la plus têtue de la création, elle était aussi la plus grande menteuse que la terre n’ait jamais portée ... Mais elle mentait bien, elle mentait d’une façon admirable, elle cachait avec un immense talent l’horreur et la misère qui nous entouraient en utilisant la musique de ses mots… et la petite fille que j'étais n’imaginait pas que cela puisse être autrement ! J’admirais Elaura, j’enviais Andrei, j’aurais voulu qu’elle soit ma sœur pour, comme Andrei, pouvoir m’endormir dans ses bras, la regarder danser dans le salon, l’écouter chanter tendis qu’elle lavait le linge, ou balayait les chambres, ou préparait le repas, ou l’entendre le plus sérieusement du monde me réprimander de ne pas apprendre mes leçons … Quand Andrei et moi avons scellé notre union à l’église du quartier, elle m’a prise dans ses bras, m’a murmuré à l’oreille avec une immense et étonnante complicité : bienvenue chez nous, petite sœur. J’ai failli pleurer. Mon rêve de petite fille se réalisait … Elle n’avait pas besoin d’en dire plus pour conquérir et gagner définitivement mon amitié, mon amour même. J’ai passé la suite, hélas trop courte ! de notre histoire à l’écouter me parler de Karl et de l’enfant qui grandissait en elle, et même si Andrei était loin de moi, j’étais heureuse. Nous faisions, bras dessus bras dessous, de longues promenades dans les rues de Berlin et je l’écoutais m’inventer l’avenir, raconter le futur telle qu’elle le voyait avec son innocence charmante et parfois désolante. Je vivais pleinement ma nouvelle condition de petite sœur, attachée à la jolie Elaura qui devenait une mère extraordinaire et je l’écoutais, je m’enivrais de son bonheur, j’ai fini par croire que la vérité sortait de sa bouche, l’adage ne disait-il pas que la vérité sortait toujours de la bouche des enfants ? Elaura était une adorable enfant, pleine de fantaisie et de désir de vivre ! Je la croyais et tellement que moi aussi je suis devenue aveugle. Je n’ai pas vu le danger… »
Très émues, Alicia et Théa la contemplaient avec ces mêmes yeux brillants de larmes. Sarah Geschkalaï leur posa à chacun une main très douce sur la joue :
 « Soyez sûres, toutes les deux, qu’elle vous a profondément aimées, vraiment ! Je n’ai jamais vu autant d’amour que dans les moindres gestes d’Elaura quand elle se contemplait dans le miroir de sa chambre et caressait cette rondeur qu’elle affichait avec orgueil sous son long châle. Elle me souriait, radieuse, me disait de venir écouter et attendre le coup. J’étais confuse, gênée, elle riait de ma maladresse, se moquait avec effronterie de mon teint écarlate quand elle me prenait la main d’autorité et l’appuyait contre son ventre … Elle me disait que moi aussi un jour je connaîtrais ce bonheur de sentir pousser la vie en moi et que nos enfants aimeraient jouer ensemble et courir dans les rues de Berlin ! Elle y croyait … et je le croyais, moi aussi, quand elle levait vers moi ses grands yeux noirs si pleins de cette affectueuse certitude …»
Sarah soupira tristement. Sa voix s’étouffa un instant … Puis elle reprit sur un ton que l’émotion étranglait :
« Elle le croyait et arrivait à le faire croire à tout le monde ! Même à Andrei ! Belle Elaura ! Elle aurait ému une pierre mais … mais Il avait le cœur plus dur que la pierre … Et Elaura s’est éteinte, comme cette lampe qu’elle emportait autrefois au grenier pour nous parler des étoiles et qui s’éteignait subitement quand elle soufflait dessus en poussant la porte de l’escalier. Dans les ténèbres qui nous entouraient, nous entendions son rire taquin, et sentions ses mains rassurantes sur nos épaules… Les ténèbres se sont refermées sur notre merveilleuse Elaura, elle n’a pas senti nos mains sur son épaule, elle n’a pas entendu nos supplications douloureuses, elle a soufflé la lumière de sa vie et nous n’avons rien pu faire pour l’en empêcher, pour la retenir … Son rire s’est tu à jamais … Ses chants aussi, surtout celui-là qu’elle fredonnait tout le temps, sans jamais s’arrêter et qui permettait au ciel gris de Berlin de s’ouvrir au soleil … »
Et Sarah se mit à chantonner, doucement, tendis que les larmes coulaient le long de son visage, cette mélodie au timbre cassé des pays de l’Est qui fit sursauter les deux sœurs. Alicia sourit, d’un sourire qui tremblait :
« C’est la chanson que tu me chantais le soir avant que je m’endorme ! Je me suis demandée tellement de fois pourquoi cette chanson amenait des larmes dans tes yeux… Maintenant, je sais, Sarah …»
 
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J
ce récit émouvant me laisse entrevoir une fin assez dramatiquemerci plume d'écrire de si belles choses émouvantesjupi
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P
Non, pas forcément. Les choses dans la vie ne sont ni totalement dramatiques ni totalement heureuses, mon livre est un amalgame des deux !
E
psssttt... merci pour m'avoir glissé dans tes favoris.... mais efce suffira, je suis toujours en guerre contre les majuscules que je trouve hautaines, dédaigneuses, suffisantes, fat!....;o))
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P
D'accord, c'est fait.
M
Quelle belle écriture...j`aime beaucoup ta façon d`exposer les sentiments...avec harmonie...je ne connais pas l`histoire...mais tu me donnes envie par cet extrait de la connaitre...une douce journée...
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P
C'est très possible. Merci d'être passée.
E
je comprends mieux... j'aime beaucoup ton style, félicitations...;o)
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P
Merci.
R
J'ai relu ton texte du chapitre de ton roman encore une fois aujourd'hui avec beaucoup de plaisir, j'aime beaucoup lire les aventures de tes personnages de tes romans, ma belle Plume, merci de nous présenter tes écrits, c'est très généreux.Bon dimanche et bisous de ta p'tite cousine du Québec.
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P
Merci Rosie.

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